Sculpture pour le concours M comme marais. 
Espace Naturel Sensible du Marais de Montfort
DESCRIPTION DE LA SCULPTURE S’APPROPIER LES CODES FORMELS POUR UNE INTERPRÉTATION CONTEMPORAINE
Le corps inversé de la vouivre est composé en 5 pièces de bois de la tête humaine à la tête de serpent.
Ces cinq parties constituent le pentagramme droit, principe féminin sacré, mues sédimentaires d’une culture encore bien vivante qui ondule et se poursuit par le signe infini de la coiffe.
La vouivre et le serpent sont indépendants et pourtant ils forment un tout. Le serpent au corps noir s’enroule autour du corps sans formes féminines marquées de la robe, comme sur l’arbre, ligne médiane du courant tellurique entre la tête et les pieds. L’animal se transforme en vêtement et tourne, sortant le ventre proéminent de la “virgo paritura”, Vierge enceinte ou Initiée, depuis longtemps vénérée avant l’arrivée du Christ. Le serpent unique se dédouble en corps et en habit, la robe est l’axe du Caducée, connaissance du bien et du mal (Cf.: Adam et Ève entre le Serpent (Vouivre) sculptés sur le portail de N-D de Paris). Cette bivalence est mise en lumière par les deux teintes de la sculpture : le blanc de la robe et le noir des deux corps, serpent et femme. La main droite de la Vouivre est en position de se tenir le ventre tandis que sa main gauche pourrait s’offrir à nous mais elle retient le bâton de cormier rouge pour conduire la couleuvre (représentation des courants telluriques). Bâton en crosse d’évêque, symbole présent sur la plaque de fonte en fond de cheminée du monastère des Ayes, références au bâton d’Aaraon qui se transforma en serpent (Exode, 7, 8-12).
Le buste est plus marqué, féminisé, droit comme les représentations d’Isis, déesse mère au culte honoré jusqu’au Vème et VIème siècle en Europe. La tête de la femme est noire comme de l’ébène. Elle a les traits
d’une femme froide, d’une beauté distante. Une vierge noire sans empathie, insensible aux hommes et à
leurs activités. Détachée de la scène présente, elle conduit son dragon qui dévore la grenouille, symbole
de renaissance et du renouvellement. L’imprudente tel les hommes, lui vole son énergie, son troisième œil, l’escarboucle toujours reprise. La grenouille énorme se fait avaler sans regarder derrière elle et sans réaction, ne voyant pas le danger venir. Parabole de l’homme qui prend ce qui ne lui appartient pas au risque d’être dévoré par les forces de la nature.
1°) MATÉRIAUX : corps de la vouivre en bois de cèdre selon la règle de sculpture des vierges noires, couleuvre et grenouille en sapin blanc. La sculpture de bois est protégée à la colle de peau de lapin et au blanc de Meudon. Les parties sombres sont colorées à l’encaustique et patinées à la cire noire. Crosse en cormier rouge, bois réputé pour être le plus réactif aux courants telluriques. Pierre rouge Cornaline, escarboucle de la Vouivre
2°) TECHNIQUES DE RÉALISATION : tronçonneuse et disqueuse pour le dégrossis, ciseaux, gouges et râpes pour la taille, ponçage manuel pour la finition.
3°) TEMPS DE RÉALISATION : 2 mois environ
4°) DIMENSIONS : 2,03 m de hauteur sur 2 m de largeur.
Recherches et argumentaire sur mon projet de sculpture d’une Vouivre avalant la grenouille.
Au départ fut la grenouille. Cet animal entre terre et eaux qui chaque année, se reproduit à en être décrit comme le deuxième fléau (L’Eternel dit à Moïse: «Dis à Aaron: ‘Tends la main, avec ton bâton, sur les rivières, les ruisseaux et les étangs, et fais-en monter les grenouilles sur l’Egypte.’» 2 Aaron tendit sa main sur les cours d’eau de l’Egypte et les grenouilles en sortirent et recouvrirent l’Egypte.) Symbole de fertilité et de renaissance, il me manquait pour réaliser une œuvre la valeur patrimoniale du lieu et de la ville de Crolles.
Le marais est ceinturé de montagnes qui portent des singularités géologiques signalant la présence de Gargantua dans les dires populaires : L’origine de la rivière Isère : Gargantua mettait un pied sur la dent de Crolles et l’autre sur Belledonne, puis en pissant il forma l’Isère. - Avril 1959. Ces récits sont très présents en Chartreuse. Géant débonnaire, il a façonné les paysages. Sorti du Chaos primordial, il porte des racines anciennes pré-celtiques ouvrant des voies de pèlerinage dans les vallées. Ces traces d’anthropologie religieuse sont communes avec la Vouivre, l’un découlant de l’autre. Elle est une entité à part entière à la présence attestée par une vingtaine de récits dans le livre Êtres fantastiques, patrimoine narratif de l’Isère de Charles Joisten :
- Le serpent volant : le coleuro. - Il y a vingt ou trente ans, une voisine qui est morte maintenant, Madame C., était allée en champ sur la montagne du Coleau, d’où elle avait vu voler le coleuro de Chamechaude au Charmant Som. Je crois que c’était un espèce de serpent-volant. - Août 1958
- La couleuvre dans le ciel : - La couleuvre est une grosse boule rouge avec une longue queue rouge derrière. Je peux le dire moi, je ne dis pas de mensonges, je l’ai vu moi. C’était quelque chose de pas beau ça. Une nuit on allait faire le feu de Mardi-Gras pour brûler les mascarades. J’avais entre vingt-cinq et vingt-sept ans. J’étais là, à côté de l’église. Il est parti de Belledonne et il est allé sur les petites roches, là-bas, il a traversé tout le ciel. Il faisait une queue encore plus rouge et plus longue que les étoiles qui tombent, vous avez vu ça parfois. - Mars 1959

“Dans plusieurs régions de France, on a cru et l’on croit encore en une attraction réciproque entre le venin de la terre, expression qui désigne les courants telluriques maléfiques, et celui de plusieurs amphibiens et reptiles.
A la fin du XIXème siècle, dans la région d’Amboise, une croyance populaire affirmait que les reptiles étaient nécessaires parce que ce sont eux qui enlèvent et avalent le venin de la terre (Lelièvre 1881 :100). Des propos de ce type m’ont été tenus lors de mon enquête de terrain en Isère, en 1989, à Gragnolet, près d’Entraigues en Valbonnais :” On dit aussi que les vipères, ça assainit la terre.” Dans le Jura, en Bourgogne, en Auvergne et dans la région Rhône-Alpes, où l’on prépare et utilise encore de l’eau-de-vie de vipère, on retrouve, survivance du culte celtique, la croyance en l’existence de la Vouivre, serpent féminin lié aux courants telluriques et magnétiques, gardienne de fontaines et trésors souterrains fabuleux.
Elle est nommée la Vouise ou la Vouire, voir Mélusine aux Cuves de Sassenage. Porteuse d’énergies telluriques, elle apparaît comme une puissance terrestre ou céleste mais souvent signalée près des cours d’eau ou des fontaines. Elle peut être vue comme un dragon (Drac ou Draco en Germain), une femme à corps de serpent (Mélusine) ou comme une belle femme qui dépose son diadème rouge pour se baigner (Cf. : récit des lavandières du quartier de la Femme sans tête à Grenoble). Sa présence est gravée sur la Fontaine du Lion qui symbolise par cette sculpture la maîtrise de l’homme sur le Drac et l’Isère :” La serpen et lo dragon mettront Grenoblo en savon”.
La Vouivre suit les grandes failles géologiques, jalonnées des courants recherchés par les Celtes. L’église Saint- Laurent abrite une de ces forces au cœur même du grand mausolée christianisé vers le Vème siècle.
La vallée du Grésivaudan, grand axe Est-Ouest, entre la Chartreuse en calcaire et la Belledonne en roches cristallines porte l’étymologie Celtes de DONNE = VALLÉE et aurait ainsi laissé le nom au massif de la Belledonne. Une autre version donnerait au caractère austère du massif le nom de “puissante forteresse” en langue gauloise, langue qui a perduré jusqu’au VIIIème et IXème siècle dans certaines vallées. Ces traces et lieux de cultes encore vivants sont souvent à côté des points d’eau ou des grottes. Ils abritaient des statues de déesses mère, de Vierges noires ou de Virgo Paritura (Belisama). Porteuses de vie par les forces célestes et terrestres, elles sont le lien entre la terre-mère et les hommes. Les vierges noires actuelles seraient bien une survivance de ces représentations polythéistes d’Europe occidentale. Elles ont été produites entre le XIème et le XVème siècle et cache les traces de la Vouivre de l’art religieux du Moyen-âge.
Selon Régor Mougeot, “La religion chrétienne a maintenu l’image de l’Immaculée Conception à celle d’une Vierge Marie foulant au pied le Serpent. C’est l’une des multiples figures de la Mère Universelle. “Tu piétines le Serpent, Mère Divine, car qui t’approche pleinement te découvre : Serpent Premier, terrassant le serpent secondaire et tu octroies alors la Puissance du Serpent qui ouvre sa gueule vers le Ciel et en reçoit la Flamme...” Ce serpent secondaire, c’est la Wivre maîtrisée, tenue en main ou foulée du pied, car issue de l’Unique Serpent.”
C’est cette liaison entre la Puissance secondaire et celle du ciel que l’architecture Cistercienne cherchait à combiner. La pureté formelle des églises se détache des autres architectures religieuses de l’époque. Le plan régulier suit le réseau Hartmann où chaque pilier devient une antenne au croisement des courants pour les porter vers le ciel et inonder les croyants par les voûtes. Henri Vincenot décrit la construction de ces “nouveaux dolmens” dans Les Étoiles de Compostelle comme un moyen d’appropriation des connaissances Celtiques. Les compagnons bâtisseurs, initiés aux anciennes croyances, sculptaient des symboles païens dans les églises du XIème.
Est-ce une coïncidence si la ville de Crolles abrite une Abbaye Cistercienne dédiée à Notre-Dame ? La légende voudrait que Marguerite de Bourgogne ait vu un flambeau se poser sur les bords de l’Isère et en aurait défini
le lieu de construction. Cette légende correspond étonnamment aux nombreux témoignages de Dauphinois qui, 900 ans plus tard,ont vu des lumières rouges voler dans la vallée. Mais le hasard me sera plus généreux en laissant comme vestiges à l’Abbaye des Ayes deux chapiteaux dont un est orné de couleuvres entrelacées. La vouivre est là. À moi de la faire ressortir de notre histoire, de la croiser avec le Marais de Montfort, Espace Naturel Sensible. C’est par la grenouille du début, voleuse de l’escarboucle et parabole de l’homme dévoreur de terre que je relie la notion de préservation de nos espaces naturels et culturels.
VIRGO PARITURA
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